Vassily Smyslov, 7ème champion du monde d’échecs, nous a quitté à 89 ans

L’ex-champion du monde, le russe Vassily smyslov, s’est éteint le samedi 27 mars, deux jours seulement après son 89e anniversaire. Après Tal, Petrosian, Botvinnik et Fischer c’est un autre grand nom qui rejoint le panthéon des champions du monde de cette belle époque, une espèce rare dont ne subsiste désormais que Spassky


C’est avec regret que les échephiles ont appris, il y a quelque temps, la mort du 7e champion du monde Vassily Smyslov. Au-delà du décès d’une personne, c’est toute une vision de concevoir le jeu qui se trouve perdue. Kramnik, grand admirateur de Smyslov, disait qu’il était « la vérité aux échecs ». Je nuancerai en disant que Smyslov, par sa compréhension profonde du jeu d’échecs, détenait une parcelle de cette grande mosaïque qu’est la vérité échiquéenne. Stratège subtile, et compositeur reconnu, Smyslov a brillé dans toutes les phases du jeu surtout le milieu de partie et la finale, sans omettre ses précieuses contributions à la théorie des ouvertures.

Smyslov n’a régné qu’une seule année (1957-1958) sur le trône du jeu certes, mais cela traduit mal la force de ce joueur. En effet, Smyslov, comme l’a souligné encore une fois Kramnik, aurait pu rester champion 10 ans s’il n’était pas confronté aux énormes privilèges auxquels avait droit son redoutable rival de l’époque, « le patriarche » des échecs soviétiques : Mikhail Botvinnik. Ainsi, après, un long combat pour la qualification pour être prétendant au titre mondial (notamment le fameux tournoi de Zurich de 1953 dont Bronstein avait analysé les parties dans « L’art de combat ») , Smyslov a réussi lors du match contre Botvinnik à annuler (12.0-12.0), ce qui se révèle insuffisant (privilège du champion oblige) et Mikhail a conservé son titre. Deuxième tentative en 1957, sera la bonne. Smyslov gagne 12,5-9,5. Cependant, le champion déchu reprit rapidement son trône grâce à son deuxième privilège : le match de revanche, demandé l’année suivante.

Dans les qualifications qui suivirent, Smyslov n’a jamais pu décrocher le billet pour le Championnat du monde ; heurtant, dans chaque tentative, des étoiles montantes redoutables : Mikhail Tal en 1959, puis Tigran Petrossian en 1965 et enfin Kasparov en 1983-1984 !!

Cette longévité impressionnante, ne puise pas sa force dans la seule détermination de ce champion, c’est aussi la conséquence de son jeu limpide et simple. Smyslov était certes un joueur positionnel, mais n’est-il pas réducteur de confiner un joueur, surtout de la taille d’un champion du monde, dans les limites théoriques d’un seul style ? Smyslov, était un joueur complet, aussi grand tacticien que fin stratège, mais sa force (comme il devait en avoir une) vient du traitement qu’il fait de certains types de positions, où les possibilités sont nombreuses, et dans lesquelles on peut affirmer, sans exagération, qu’il était presque inégalable.

Pour mettre ce point au clair, une petite digression s’impose. Au fait, ce qu’on appelle style, n’est souvent qu’une contrainte situationnelle effective et non un choix. Il y a des positions qui ne peuvent être abordées que par un traitement stratégique et positionnel (le cas des premiers coups de l’ouverture par exemple), d’autres nécessitent la tactique à cause de l’existence de plusieurs lignes forcées, etc. Dans ces cas-là, le choix de la nature du jeu adéquat n’est pas possible, car il est dicté par la position elle-même.

Le style d’un joueur est déduit de ces contraintes sous la forme d’un dosage (choix d’ouverture ou de positions permettant tel ou tel jeu) ou d’un choix lorsque la position permet plusieurs approches possibles.

Si la difficulté du jeu tactique vient essentiellement du calcul des variantes et des coups adverses, celle du jeu positionnel se manifeste à travers le caractère non forcé des variantes, le choix énorme que possèdent les deux adversaires et l’absence d’objectif incontestable dans le court terme. C’est dans ce type de position que le génie de Smyslov fait parler de lui.


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Smyslov- Petrossian URSS 1967 (trait aux blancs)Après 11…Tc8

Cette position issue d’une partie entre ces deux grands stratèges est une illustration idéale des propos tenus auparavant. La position n’offre pas de perspectives claires à court terme et les deux adversaires possèdent un large éventail de choix.

Essayons nous-mêmes de nous mettre à la place des blancs, de trouver un coup et de lui donner une justification. (Prenez 5 minutes pour cette tâche).

Comme vous l’avez sans doute remarqué, nous pouvons donner au moins une dizaine de coups tout à fait jouables avec des justifications logiques que nous trouvons souvent dans les commentaires des parties d’échecs :

12. h3 (contrôler la case g4)

12. Ce5 (échanger le Cc6 et avoir le contrôle de la case d4)

12. e3 (contrôler d4)

12. 12. Tc1 (contrôler la colonne C)

12. Cb3 (contrôler d4)

12 Db3 (protéger b4 et préparer a4 et Td1)

12. e4 (chasser le cavalier f6)

12. b5 (chasser le cavalier c6 et le contraindre à aller à sa case de départ ou à la bande à a5) Etc.

(Remarquons que les impatients et qui ne peuvent jouer que s’il y a un objectif clair n’hésiterons pas à se lancer dans des suites comme h4 ou Cg5)

Le souci dans ce type de positions, c’est que le coup à jouer avec sa justification n’est pas falsifiable, c’est-à-dire qu’il ne peut pas être réfuté directement par un raisonnement logique incontestable. Il faut faire intervenir d’autres paramètres que seuls les grands joueurs possèdent : la compréhension profonde du jeu qui assimile les avantages minimes que présente une telle suite par rapport à une autre et améliorer la position progressivement en accumulant les petits avantages. Ainsi, Smyslov opta dans cette position pour : 12.Db1 !

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la position après 12.Db1 !

L’objectif de Smyslov est de placer la tour sur la colonne D, échanger le cavalier f6, centraliser la dame, provoquer f5, mettre une pression sur le pion arriéré d7 pour contraindre les noirs à jouer d6 et puis créer une pression désagréable sur le pion e6, une série d’amélioration progressive de la position qui se réalisa comme suit :

12…h6 13.Td1 Dc7 14.Ce4 Cxe4 15.Dxe4 f5 16.Dd3 Tcd8 17.Tac1 d6 18.Db3 Kh7 19.c5 dxc5 20.Dxe6 Dc8 21.Db3 Txd1+ 22.Dxd1 cxb4 23.axb4 Td8 24.Db3 ( 8 coups de la dame sur 12 !!) Bxb4 25.Nh4 Bf8 26.Bh3 et les noirs abandonnent 1–0.


C’est étonnant de voir comment Pétrossian alors champion du monde à cette époque joueur très défensif et grand stratège se trouve vaincu sur son terrain par la lucidité et le flair de Smyslov dans une partie en apparence équilibrée.

Enfin, je tiens à préciser qu’il serait excessif de cerner toutes les particularités du jeu de Smyslov dans quelques lignes et positions. Je vous invite, donc, à voir d’autres parties de ce champion qui vous aideront surement à progresser.


 

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